THE GURLZ BLUNT THEORY                    HOME           NEWSLETTER         CONTACT              ABOUT 

Tous les peintres de ma vie, en toi réunis 



Ma Chère Aïda,


C’est dimanche et je suis punie. Je t’écris du hall de la Galerie, entre les bruits du téléphone portable du vigile et le son du ruissellement de la fontaine odorante de Jean-François. Il y a quelques jours tu m’as appelé depuis ta résidence dans le Loiret, on s’est dit que ce serait génial d’avoir un espace où se partager nos états d’esprit. Alors voilà, je me lance. J'ai hésité à te parler de ce club de lecture que j’aimerais monter, projet en végétation vue le non temps que j’ai a lui consacrer... Mais promis, ce sera pour une prochaine lettre.


Hier soir, après l’appel d’un amant indisponible bien que géographiquement proche, et la rencontre inopinée d’un coup d’un soir dans un restaurant de raviolis chinois, suis rentrée bredouille de Belleville, et pensive du numéro 403 au numéro 89 de la rue des Pyrénées.


Ces dernières années passées à infiltrer tant bien que mal le milieu de l’art contemporain au sortir de mes études m’ont démontré que seule la ténacité et un désir plus grand que nature seraient les garants de cette opération sociale et professionnelle où les ascenseurs, remontées mécaniques et autres tapis roulants sont en maintenance technique depuis plusieurs décennies désormais. Pour faire le job, I had to be le job. Fusionner l’art à mon quotidien, lui offrir toutes mes plages horaires, de 06h30 à 01h00 du matin en semaine, voir de 06h30 à 06h30 les weekends. Un phénomène consumant, alors que mes proches sont de plus en plus mes pairs -artistes, critiques et commissaires- devenu un style de vie à mes dépends, allant jusqu’à régir jusqu’aux plus intimes de mes sentiments. Pour tout te dire, j’observe que cette porosité touche à ma vie sensuelle, et cela me questionne grandement.


Cela va bientôt faire deux ans que je suis tombée amoureuse de ce type (tu vois très bien de qui je veux parler) et avec lequel j’entretenais une relation si totale qu’elle nous a mené à la suffocation mutuelle. J’étais tout le temps disponible, pour lui en tant qu’homme, mais aussi pour lui en tant qu’artiste. C’est simple, c’était chronophage, énergivore et aliénant. Effet poudre blanche, je savais pertinemment que c’était mauvais pour ma santé, mais j’en consommais allégrement sans y réfléchir à trois fois, faisant exploser ma production d’ocytocine, de ma culotte vers mon cerveau. En gentille commissaire, amoureuse, autoritaire et maternelle, j’adorais qu’il ait besoin de moi, qu’il me sollicite sans arrêt pour relire un texte, corriger un e-mail, connaître mon opinion sur tel projet ou mon avis sur tel interlocuteur. 360°, 24h/24h, la boutique n’était jamais fermée. J’étais consommée, en surchauffe, totalement éprise et prisonnière d'une relation de codépendance où je n’étais plus que Mathilda commissaire baby-sitter.


Ne te méprends pas ma chère Aïda, j’adore mon métier, il est le sel de cette vie rebondissante que j’ai la chance de mener. Mais cette détermination si grande, n’est elle pas trop extrême ? Alors que je suis la première à vouloir rappeler à mes congénères que l’art ce n’est que de l’art, et que pendant que truc bidule gagne le prix Marcel Duchamp, ou que machine a récupéré la direction des Beaux-Arts de Paris, bah dans le fond de la pièce, la télévision ne s’est jamais éteinte. Et mes putains d’attirances sexuelles sont devenues plastiques, et mon admiration goûte le citrus en surface de ma peau, et mes baisers se monnayent désormais contre des pensées aiguisées. “Jeune commissaire recherche artistes mortel.le.s” mais qu’est ce que ça veut dire enfaite ? J’ai embrassé bien des crapauds pour trouver zéro prince, sinon, des peintres. Quelle loose. Mon métier a pris tellement de place dans ma vie que je désire professionnellement, parallèlement à quoi je désire tout court. Mais au secours quoi. Alors, je refuse. Je refuse de n’être que cela, je refuse d’être uniquement déterminée par un sérail, je refuse le doute et les mauvaises intentions aussi involontaires qu'elles pourraient être, je refuse l’altération de mon jugement, je refuse le jeu. Messieurs, je vous apprécie, mais je crois que j’ai besoin de faire une pause de vous et de vos pinceaux.


Six mois après une prise de poste dans un centre d’art contemporain de la banlieue sud parisienne et deux group show plus tard, j’observe ne pas avoir programmé un seul homme hétérosexuel. Après tout, ce n’est pas plus mal, me diras tu ma chère Aïda. Mais entre nous, je sais que ce phénomène inconscient ne s’explique que dans un écho très égoïste à ma vie privée. Un bouclier que j’ai déployé sans m’en apercevoir, tentant de mettre un peu d’ordre, et de distance entre l’art et la vie, étant manifestement devenu trop friande de situations ambiguës et de flirts toxiques. Dans un milieu où la séduction des yeux et des cerveaux est continuelle, moi, je me suis totalement perdue entre l’exercice de représentation et la sincérité. Morale : je crois que je vais recommencer à dater des professeurs de physique chimie et des informaticiens.


Ton amie, Mathilda (Portoghese)